Voilà
plus de cinquante ans que les armes de la Seconde Guerre mondiale se sont
tues. Le temps, nous disent certains, est venu de tourner la page de cette
triste époque "où les Français ne s'aimaient
pas". C'est pourtant la démarche contraire que nous proposons
aujourd'hui, avec la renaissance, sous forme d'association, de X-Résistance.
Pourquoi un tel projet, qui rassemble, à ce jour, des camarades
issus de promotions couvrant plus de soixante-dix ans d'histoire de l'Ecole
polytechnique?
Cest dabord pour que ne se perde pas la mémoire de
ceux de nos camarades tombés pour la France et pour les valeurs
de Liberté, dEgalité, de Fraternité quelle
représentait. Morts de la campagne de France de mai-juin 1940,
dont on oublie trop souvent combien elle fut meurtrière, morts
des combats conduits par la France Libre et les Alliés pour la
libération du territoire et la restauration des valeurs républicaines,
morts dune Résistance intérieure férocement
combattue par loccupant et ses auxiliaires, morts de la déportation
raciale aussi. A tous, nous devons lhommage du souvenir.
Au-delà de la perpétuation de leur mémoire, il est
devenu essentiel que ne se perde pas la trace de l'action et des sentiments
de ceux de nos camarades qui ont à dire des choses sur cette époque.
Certains ont eu l'occasion de publier leurs souvenirs, mais pour quelques
livres édités, que de témoignages, écrits
ou oraux (voire même encore informulés mais qui ne demandent
qu'à s'exprimer), d'images, de documents restés inaccessibles?
X-Résistance se propose d'une part de recueillir le plus grand
nombre possible de témoignages, y compris en allant interroger
ceux qui le souhaiteraient, d'autre part de faciliter l'accès aux
documents ainsi récoltés. Accès physique, dans la
mesure où les responsables de la bibliothèque et des archives
de l'Ecole nous ont indiqué être prêts à conserver
un fonds spécialement consacré à ce sujet, mais accès
virtuel aussi, avec l'intérêt que présenterait un
site Internet.
Cette fonction de conservation de la mémoire de l'action des polytechniciens
au sein des unités combattantes comme des mouvements et réseaux
de résistance sera donc un objectif essentiel de l'association.
Mais l'histoire de l'Ecole polytechnique ne se confond pas avec celles
des polytechniciens les plus engagés - et rappelons à
cet égard que 33 d'entre eux furent Compagnons de la Libération,
tandis que, probablement, plus de 400 reçurent la médaille
de la Résistance.
Pendant la guerre, l'Ecole polytechnique a continué à fonctionner,
mais "civilisée" pour ne pas peser sur les effectifs,
très réduits, de l'armée d'armistice dont les Allemands
avaient autorisé le maintien. Cette période spécifique
du passé de l'Ecole mérite d'être étudiée
en raison de l'enjeu que constituait, pour le gouvernement de Vichy, la
poursuite du recrutement des élites techniques avec le concours
desquelles devait être construite la "France nouvelle".
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Enfin,
même si le sujet est douloureux, l'histoire de l'Ecole polytechnique
d'alors est aussi, comme c'est le cas pour toutes les institutions de l'Etat,
l'histoire de l'exclusion de ceux dont on estima qu'ils n'y avaient plus
leur place entière, et qui se virent mis à l'écart
parce que juifs ou nés de père non français.
Toute cette mémoire, aussi diverse que sont divers les parcours de
ceux qui vécurent ces années de guerre, a vocation à
être non seulement conservée, mais aussi transmise. Transmise
parce que oublier serait trahir la mémoire de ceux qui sont morts
pour la Patrie, mais aussi parce que et c'est ce qui motive ceux
d'entre nous qui, issus de promotions de l'après-guerre, ont souhaité
s'associer à ce projet au-delà du souvenir, il faut
aussi faire vivre les valeurs qui ont motivé l'engagement et porté
le combat de ceux qui choisirent de résister plutôt que d'accepter.
Pourquoi, alors qu'il peut, dans la plupart des cas, se polariser sur des
questions de géométrie descriptive ou de chimie organique
qui lui seront utiles le jour du concours, un taupin de dix-sept ans décide-t-il
de laisser ses livres de côté et de partir pour Londres un
jour de juin 1940 ? Pourquoi un ingénieur des Ponts, achevant deux
ans plus tard ses années d'Ecole, rejoint-il un réseau de
résistance plutôt que l'administration du ministère
des communications ? Le fait d'être passé par l'X impliquait-il
des "modes" particuliers de résistance ? La présence
de nombreux anciens dans certains postes-clés de l'Etat était-elle
une opportunité, en apportant par exemple des protections spécifiques?
Autant de questions qui méritent d'être posées, qui
ne sont pas simples, mais dont les réponses mises bout à bout
et rapprochées éventuellement d'interrogations similaires
sur ce qui se faisait à la même époque dans des milieux
voisins, ceux de Centrale ou de la rue d'Ulm par exemple permettraient
de mieux connaître, et donc de mieux comprendre, en tenant compte
de la complexité de l'époque et de l'influence de la chronologie,
les attitudes et les choix de ces cohortes d'hommes jeunes appelés
à devenir les élites techniques de la Nation, et porteurs
à ce titre d'une responsabilité dans son devenir.
Sans parti-pris, loin des hagiographies comme des anathèmes, il s'agit
simplement pour nous de pouvoir dire ensemble ce passé, d'en célébrer
les grandes heures comme d'en accepter les pages noires, et surtout d'en
tirer les enseignements et les valeurs qui restent d'actualité. |
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